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13/06/2011

LA DEFENSE DU PLURALISME

Editorial

La défense du pluralisme – j’entends par là d’un pluralisme authentique permettant à toutes les sensibilités politiques qui comptent réellement dans notre pays d’être représentées – doit être au centre du débat politique qui va s’engager dans la perspective de l’élection présidentielle de 2012.

J’entends pour ma part, dans le cadre de cette Lettre et dans la continuité des thèses que j’ai pu développer dans mes articles ainsi que dans mon livre  Esquisse d’une démocratie nouvelle- Pour une éthique en politique, contribuer à ce débat.

J’entends surtout attirer l’attention des femmes et des hommes qui s’intéressent à la politique, qu’ils soient simples citoyens, observateurs, analystes, commentateurs, acteurs politiques, voire candidats à quelque élection que ce soit, y compris présidentielle, sur l’impérieuse nécessité de songer très sérieusement à la modification des règles du jeu si nous voulons que cesse de se creuser le fossé qui existe entre la « classe politique » et les citoyens et le relatif désintérêt manifesté par l’immense cohorte de ceux qui désertent le chemin des urnes.

J’entends, dans cette perspective, mettre l’accent notamment sur l’urgence d’adopter un mode de scrutin qui soit non seulement plus juste mais qui tienne davantage compte de l’état réel du rapport des forces politiques dans notre pays.

J’entends également défendre avec force cette proposition à laquelle je suis particulièrement attaché depuis des années et que j’ai moi-même eu l’occasion de qualifier d’iconoclaste ici-même dans un éditorial du 17 avril 2011, à savoir instituer un troisième tour à l’élection  présidentielle afin de mettre un terme à cet insolent slogan : « Votez utile » qui entend tout simplement, au nom d’une soumission aveugle à une règle qui a fait la démonstration de ses limites dans un pays de multipartisme comme le nôtre, réduire la liberté du choix de l’électeur.

J’observe à cet égard que cette proposition n’a pas été relayée par ceux qui en ont le pouvoir, au nom sans doute d’un certain conformisme pour les uns et d’un ralliement à un système dont ils espèrent tirer bénéfice pour les autres.

Pour autant, pour reprendre une formule célèbre, je persiste et signe, l’institution d’un troisième tour à l’élection présidentielle changerait fondamentalement la donne et la nature de nos institutions sans être dans l’obligation d’en appeler à un changement de Constitution.

Encore une fois, j’aurai l’occasion de revenir sur cette idée et sur bien d’autres au cours des prochains mois afin d’aider à la défense et à l’illustration du pluralisme.

J’invite les démocrates et républicains à avoir recours à ce thème de la défense du pluralisme à la manière d’un leitmotiv.

Gérard-David Desrameaux

Directeur de la Lettre ECP

 

28/05/2011

IL NE SAURAIT Y AVOIR D'EQUILIBRE DES POUVOIRS SANS PLURALISME EFFECTIF

Editorial

Il n’y a pas équilibre des pouvoirs réel si le législatif et l’exécutif sont tous deux issus d’une même et semblable majorité au point de se confondre. Le fait majoritaire engendre, qu’on le veuille ou non, un système politique où la séparation  est des plus ténue, comme c’est le cas actuellement en France, quand il y a coïncidence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire car le législatif et l’exécutif marchent quasiment d’un même pas et dans la même direction et ont intérêt à se préserver mutuellement de l’opposition. Selon la plus ou moins grande homogénéité de la majorité et de la  plus ou moins grande convergence des projets de cette majorité avec ceux du Gouvernement qu’elle soutient l’équilibre souhaitable peut ne pas être réalisé. Cet équilibre sera d’autant moins atteint que les mécanismes de contrôle seront défaillants ou tout simplement insuffisants comme cela existe  dans notre pays en raison d’un parlementarisme excessivement rationalisé en réaction au régime dit d’assemblée de feu la IVe République !

 Donner plus de pouvoir à l’ Assemblée face à l’exécutif apparaît  ainsi, certes comme une nécessité, notamment par un renforcement des commissions d’enquête et de ses pouvoirs de contrôle et d’évaluation des lois, mais ne suffira pas à établir l’équilibre recherché en l’absence d’une représentation la plus fidèle qui soit de la volonté populaire. Or, et c’est là le point essentiel, nous souffrons d’un véritable déficit au plan de la représentation nationale qui nous interdit de parler sérieusement de la nécessité de contre-pouvoirs.

Pourquoi inventer des schémas plus ou moins compliqués, élaborer des théories particulièrement complexes alors que le véritable contre-pouvoir réside  tout simplement dans l’existence d’une juste  représentation nationale.

A partir du moment où le pluralisme des sensibilités est respecté et où les forces politiques qui contribuent à l’expression du suffrage sont légitimement représentées au sein du Parlement, lieu où l’on parle, lieu de dialogue, lieu de débats et lieu désigné pour que s’élaborent les compromis, le contre-pouvoir le plus efficace est alors mis en place et contribue à cet équilibre des pouvoirs, indispensable à toute démocratie sereine.

A partir de ce moment-là encore, bien des conflits pourraient être réglés plus aisément et bien des crises pourraient être évitées limitant le contre-pouvoir de la rue qui est parfois synonyme de désordre et de violences et annonciateur de lendemains qui déchantent le plus souvent.

Il ne sert à rien en vérité de « discourir » sur les vertus de l’existence de contre-pouvoirs quand, dans le même temps, on s’efforce d’abord et toujours de verrouiller un système et de porter atteinte au  pluralisme, en radicalisant un discours sur un ton guerrier, puis ensuite en refusant de modifier de façon substantielle la représentation du peuple souverain au sein de l’Assemblée nationale.

Il faut s’en convaincre, si certains peuvent encore en douter : il n’y a pas, il ne peut y avoir, il ne saurait y avoir d’équilibre des pouvoirs aussi longtemps qu’on s’efforcera de prolonger, voire d’accroître le déséquilibre de la représentation nationale en excluant toute une série de sensibilités politiques et de courants de pensée.

Tous les démocrates devraient sérieusement méditer sur ce qui s’est passé en 2007  lorsqu’un parti dont le président, François Bayrou en l'espèce,  avait recueilli lors des dernières élections présidentielles près de 19% des voix a été quasiment privé de toute représentation en raison d’une loi électorale profondément injuste et du comportement des hommes insuffisamment attachés à cette idée d’éthique sans laquelle, et j’insiste une fois encore, toute réforme en profondeur des mœurs  politiques et des institutions risque de rester dans le domaine du rêve et de l’utopie.

J’entends dire par certains qu’il faudrait « instiller une dose de proportionnelle ». Je vois dans cette expression comme une forme de mépris à l’égard du peuple et de sa représentation nationale. C’est comme si, pour calmer les ardeurs qui montent des entrailles de la démocratie et  faire taire les clameurs des démocrates, on acceptait de jeter du lest  comme on jette quelques miettes aux oiseaux affamés qui piaillent d’impatience sous l’emprise de la faim ! Seule une véritable représentation proportionnelle permettra au pluralisme de s’épanouir pleinement en n’excluant aucune force politique de l’indispensable dialogue, prélude aux compromis et aux équilibres garants de la vraie stabilité.

Benjamin Constant a pu écrire dans De l’esprit de conquête et de l’usurpation, dans leurs rapports avec la civilisation européenne : « (…) de tous les fléaux politiques, le plus effroyable est une assemblée qui n’est que l’instrument d’un seul homme ».

Pourquoi cette tendance de tant de dirigeants, représentants d’un camp, d’un parti, d’un syndicat, d’un groupe  à vouloir détenir la totalité du pouvoir ? Est-ce pour davantage d’efficacité ? Si tel est le cas, cela se saurait à l’aune des résultats et des réalisations. En fait, le plus souvent les majorités les plus massives, détenant l’intégralité des leviers de commande, capables de nommer qui elles veulent, là où elles le souhaitent et de « faire passer » tous leurs textes sans difficultés apparentes au Parlement sont souvent conduites à céder sous le poids des manifestations de rues qui suppléent l’absence d’opposition crédible  capable de débattre et de contrôler autant qu’il le faudrait. Puis, ce qu’une majorité détentrice de tous les pouvoirs aura fait sera plus sûrement défait par la majorité suivante que cette dernière sera tout aussi massive, tout aussi absolue.

Je ne dis pas qu’il est illégitime de vouloir obtenir une majorité de sièges et de voix quand on préside aux destinées d’un parti politique, voire d’une coalition de partis, mais qu’il n’est pas sain que l’on veuille détenir tous les leviers de commande à la fois et réduire à sa plus simple expression, et ce au point de l’humilier, l’opposition. Une telle attitude étant précisément attentatoire à cette idée d’équilibre des pouvoirs et confirmant l’exactitude de la formule de Montesquieu. L’opinion publique constitue un nécessaire et légitime contre-pouvoir qui est consubstantiel  à toute démocratie digne de ce nom. Elle participe à la prise de conscience des dirigeants, des gouvernants qui, avant de prendre leurs décisions ou de légiférer, doivent parfaitement connaître les problèmes auxquels sont confrontés leurs concitoyens ainsi que leurs préoccupations et aspirations.

Gérard-David Desrameaux

Directeur de la Lettre ECP

17/04/2011

INSTITUER UN TROISIEME TOUR A L'ELECTION PRESIDENTIELLE

 Editorial

La proposition peut paraître iconoclaste. Pour autant, elle me semble aujourd’hui absolument nécessaire si nous voulons, d’une part, que le pluralisme soit défendu dans notre société et, d’autre part, éviter que ne s’aggrave à l’avenir le déficit de représentativité dont souffre notre démocratie. Ce déficit étant assurément l’une des causes du relatif désintérêt des Français pour la politique les conduisant soit à se réfugier dans l’abstention, soit à se jeter dans les bras de forces extrémistes ou populistes.

Avant d’exposer la règle ou le principe des trois tours et les avantages attendus d’une telle réforme il nous faut d’abord partir d’un constat :

Notre démocratie est aujourd’hui victime du syndrome du 21 avril 2002, mais il faut se rappeler que bien avant déjà, l’appel au « vote utile » est un thème récurrent avant chaque premier tour de scrutin de l’élection présidentielle.

Ainsi, Lionel Jospin, dès 1995, en appelle au vote utile et, en 2002, on dénoncera au lendemain du 21 avril les candidatures de Mme Taubira et de  M. Jean-Pierre Chevènement, celles-ci étant tenues pour responsables de l’absence d’un candidat de gauche au second tour de l’élection présidentielle de 2002.

Sur la foi de récents sondages, le thème du vote utile est de nouveau mis en avant par les responsables des principaux partis.

J’ai envie de dire au nom de quelle légitimité ? Pourquoi restreindre les choix de l’électeur et le priver de la possibilité de s’exprimer en toute liberté en votant pour le candidat ayant sa préférence, sans qu’il soit tenu pour responsable d’avoir fait battre un candidat ayant a priori plus de chances que le sien de l’emporter ?

 Car, en appeler au vote utile avant le premier tour, c’est dans une certaine mesure favoriser les intentions de vote présumées et prédéterminer les résultats. C’est permettre à des instituts de sondages d’anticiper, voire de contribuer à orienter les électeurs dans un sens donné et de s’approprier un pouvoir exorbitant  puisqu’ils influent sur les stratégies des partis politiques et sur les choix des citoyens. C’est faire abstraction, en outre, du fait que ces instituts  se sont fréquemment trompés et que certaines de leurs prévisions formulées quelques mois avant une échéance électorale ont souvent été au soir de l’élection gravement démenties.

C’est en quelque sorte réduire, voire confisquer, le libre choix de l’électeur. C’est porter atteinte, dans une certaine mesure, non seulement à la liberté de vote mais aussi au pluralisme politique dans notre pays.

Instituer un troisième tour à l’élection présidentielle conduirait à modifier l’article 7 de la Constitution en remplaçant principalement l’alinéa premier actuel par un alinéa ainsi rédigé : « Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n’est pas obtenue au premier tour de scrutin, il est procédé, le quatorzième jour suivant, à un deuxième tour. Seuls peuvent s’y présenter les candidats ayant obtenu au moins cinq [ou dix] pour cent des suffrages exprimés au premier tour. Si la majorité absolue n’est toujours pas obtenue, il est procédé le quatorzième jour suivant à un troisième tour. Seuls peuvent s’y présenter les deux candidats qui, le cas échéant après retrait de candidats plus favorisés, se trouvent alors avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages au deuxième tour. »

Les avantages d’un tel mécanisme sont évidents :

Il garantit le pluralisme en permettant aux candidats ayant obtenu les signatures requises qui demeureraient fixées à cinq cents, le parrainage étant maintenu, de faire acte de candidature.

Il conduit à instaurer une primaire généralisée en offrant à l’ensemble du corps électoral un choix politique diversifié.

Il permet de libérer les candidats de l’emprise excessive des appareils de certains partis politiques. Les « grands partis », mais il s’agit là d’une notion désormais bien floue, ne pouvant plus faire pression sur les candidats en les qualifiant de « diviseurs ».

Le syndrome du 21 avril 2002 disparaît car le premier tour n’a plus pour effet comme aujourd’hui de  ne  sélectionner que les deux seuls candidats arrivés en tête, mais simplement d’éliminer les candidats ayant obtenu un « score » inférieur à cinq ou dix pour cent des suffrages exprimés, selon le seuil retenu.

En revanche, l’appel au vote utile, l’appel au rassemblement, retrouve tout son sens à l’issue du premier tour car le peuple s’est alors exprimé en toute liberté et à l’abri de toute pression.

Le deuxième tour présente dès lors l’avantage de permettre les rapprochements, ajustements et reports de voix nécessaires sur la base bien concrète de résultats électoraux et non plus sur la seule base de sondages hypothétiques qui n’ont pas à se substituer à l’électeur et à le conditionner. La nécessaire stratégie d’union entre courants de pensée proches ne se fait plus en amont de l’élection mais en aval du premier tour.

L’institution d’un troisième tour supprime l’épée de Damoclès qui est actuellement suspendue au-dessus des grands partis, à savoir la possibilité pour eux d’être absents du débat lors de la compétition finale.

Aujourd’hui, il faut faire respirer la démocratie et non pas l’étouffer en verrouillant le jeu politique.

Aussi, en ouvrant le débat et en permettant, le cas échéant, à des candidats au charisme incontestable et à de grands leaders d’opinion porteurs de  véritables projets d’être présents lors de l’élection présidentielle, il est permis d’imaginer un regain d’intérêt pour la politique de la part de nos compatriotes.

N’est-ce pas le général de Gaulle qui déclarait que l’élection présidentielle, c’est la rencontre entre un homme et  la Nation ?

Les critiques faites à l’encontre d’une telle proposition ne manqueront pas :

- Les Français ne se déplaceront pas trois fois de suite en l’espace d’un mois pour élire le chef de l’Etat. Ils se détourneront des urnes et se réfugieront dans l’abstentionnisme !

Le droit de vote est une conquête relativement récente. Nombreux sont les femmes et les hommes qui ont donné leur vie pour le conquérir. Il suffit de le rappeler et d’en appeler au sens civique des citoyens. Au demeurant, c’est une élection qui généralement passionne les Français, a fortiori s’ils ont le sentiment que leur vote ne leur est pas imposé et  qu’ils disposent d’une plus grande latitude dans l’expression de leur choix.

 

- La campagne électorale sera trop longue et lassera les électeurs !

La campagne officielle ne s’étendra que sur six semaines au lieu de quatre aujourd’hui. C’est peu, au regard notamment de la campagne officieuse et de « primaires instituées par certains partis politiques », en particulier depuis l’instauration du quinquennat.

 

- Un tel système aura un coût !

En tout état de cause la démocratie a un prix et ce prix n’a rien de déshonorant ou d’exorbitant s’il s’agit d’améliorer le fonctionnement de notre vie démocratique.

 

- Instituer un troisième tour va compliquer les règles du jeu !

Rien n’est plus faux. Le système est simple, clair et transparent. La sélection des candidats se fait selon des règles précises introduites dans la Constitution.

 

- Un tel système implique une modification de la Constitution !

Sans manquer de respect à l’égard de celle-ci, elle a déjà fait l’objet de vingt-quatre modifications et bientôt de vingt-cinq. Une modification supplémentaire tendant à améliorer notre démocratie n’est nullement illégitime.

 

- Une telle réforme proposée moins d’un an avant l’échéance de 2012 est tardive et donc impossible pour la future élection !

A supposer que cela soit exact et qu’il soit effectivement trop tard, rien ne nous interdit d’y songer dès aujourd’hui pour éviter que cet argument ne nous soit de nouveau opposé à la veille de l’échéance suivante de 2017.

C’est une question de volonté politique. C’est un choix politique et les authentiques démocrates et républicains de notre pays seraient bien inspirés de faire leur ce projet car il est, me semble-t-il, à la base d’un inévitable et salvateur renouveau de notre vie politique.

Gérard-David Desrameaux

Directeur de la Lettre ECP