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28/05/2011

IL NE SAURAIT Y AVOIR D'EQUILIBRE DES POUVOIRS SANS PLURALISME EFFECTIF

Editorial

Il n’y a pas équilibre des pouvoirs réel si le législatif et l’exécutif sont tous deux issus d’une même et semblable majorité au point de se confondre. Le fait majoritaire engendre, qu’on le veuille ou non, un système politique où la séparation  est des plus ténue, comme c’est le cas actuellement en France, quand il y a coïncidence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire car le législatif et l’exécutif marchent quasiment d’un même pas et dans la même direction et ont intérêt à se préserver mutuellement de l’opposition. Selon la plus ou moins grande homogénéité de la majorité et de la  plus ou moins grande convergence des projets de cette majorité avec ceux du Gouvernement qu’elle soutient l’équilibre souhaitable peut ne pas être réalisé. Cet équilibre sera d’autant moins atteint que les mécanismes de contrôle seront défaillants ou tout simplement insuffisants comme cela existe  dans notre pays en raison d’un parlementarisme excessivement rationalisé en réaction au régime dit d’assemblée de feu la IVe République !

 Donner plus de pouvoir à l’ Assemblée face à l’exécutif apparaît  ainsi, certes comme une nécessité, notamment par un renforcement des commissions d’enquête et de ses pouvoirs de contrôle et d’évaluation des lois, mais ne suffira pas à établir l’équilibre recherché en l’absence d’une représentation la plus fidèle qui soit de la volonté populaire. Or, et c’est là le point essentiel, nous souffrons d’un véritable déficit au plan de la représentation nationale qui nous interdit de parler sérieusement de la nécessité de contre-pouvoirs.

Pourquoi inventer des schémas plus ou moins compliqués, élaborer des théories particulièrement complexes alors que le véritable contre-pouvoir réside  tout simplement dans l’existence d’une juste  représentation nationale.

A partir du moment où le pluralisme des sensibilités est respecté et où les forces politiques qui contribuent à l’expression du suffrage sont légitimement représentées au sein du Parlement, lieu où l’on parle, lieu de dialogue, lieu de débats et lieu désigné pour que s’élaborent les compromis, le contre-pouvoir le plus efficace est alors mis en place et contribue à cet équilibre des pouvoirs, indispensable à toute démocratie sereine.

A partir de ce moment-là encore, bien des conflits pourraient être réglés plus aisément et bien des crises pourraient être évitées limitant le contre-pouvoir de la rue qui est parfois synonyme de désordre et de violences et annonciateur de lendemains qui déchantent le plus souvent.

Il ne sert à rien en vérité de « discourir » sur les vertus de l’existence de contre-pouvoirs quand, dans le même temps, on s’efforce d’abord et toujours de verrouiller un système et de porter atteinte au  pluralisme, en radicalisant un discours sur un ton guerrier, puis ensuite en refusant de modifier de façon substantielle la représentation du peuple souverain au sein de l’Assemblée nationale.

Il faut s’en convaincre, si certains peuvent encore en douter : il n’y a pas, il ne peut y avoir, il ne saurait y avoir d’équilibre des pouvoirs aussi longtemps qu’on s’efforcera de prolonger, voire d’accroître le déséquilibre de la représentation nationale en excluant toute une série de sensibilités politiques et de courants de pensée.

Tous les démocrates devraient sérieusement méditer sur ce qui s’est passé en 2007  lorsqu’un parti dont le président, François Bayrou en l'espèce,  avait recueilli lors des dernières élections présidentielles près de 19% des voix a été quasiment privé de toute représentation en raison d’une loi électorale profondément injuste et du comportement des hommes insuffisamment attachés à cette idée d’éthique sans laquelle, et j’insiste une fois encore, toute réforme en profondeur des mœurs  politiques et des institutions risque de rester dans le domaine du rêve et de l’utopie.

J’entends dire par certains qu’il faudrait « instiller une dose de proportionnelle ». Je vois dans cette expression comme une forme de mépris à l’égard du peuple et de sa représentation nationale. C’est comme si, pour calmer les ardeurs qui montent des entrailles de la démocratie et  faire taire les clameurs des démocrates, on acceptait de jeter du lest  comme on jette quelques miettes aux oiseaux affamés qui piaillent d’impatience sous l’emprise de la faim ! Seule une véritable représentation proportionnelle permettra au pluralisme de s’épanouir pleinement en n’excluant aucune force politique de l’indispensable dialogue, prélude aux compromis et aux équilibres garants de la vraie stabilité.

Benjamin Constant a pu écrire dans De l’esprit de conquête et de l’usurpation, dans leurs rapports avec la civilisation européenne : « (…) de tous les fléaux politiques, le plus effroyable est une assemblée qui n’est que l’instrument d’un seul homme ».

Pourquoi cette tendance de tant de dirigeants, représentants d’un camp, d’un parti, d’un syndicat, d’un groupe  à vouloir détenir la totalité du pouvoir ? Est-ce pour davantage d’efficacité ? Si tel est le cas, cela se saurait à l’aune des résultats et des réalisations. En fait, le plus souvent les majorités les plus massives, détenant l’intégralité des leviers de commande, capables de nommer qui elles veulent, là où elles le souhaitent et de « faire passer » tous leurs textes sans difficultés apparentes au Parlement sont souvent conduites à céder sous le poids des manifestations de rues qui suppléent l’absence d’opposition crédible  capable de débattre et de contrôler autant qu’il le faudrait. Puis, ce qu’une majorité détentrice de tous les pouvoirs aura fait sera plus sûrement défait par la majorité suivante que cette dernière sera tout aussi massive, tout aussi absolue.

Je ne dis pas qu’il est illégitime de vouloir obtenir une majorité de sièges et de voix quand on préside aux destinées d’un parti politique, voire d’une coalition de partis, mais qu’il n’est pas sain que l’on veuille détenir tous les leviers de commande à la fois et réduire à sa plus simple expression, et ce au point de l’humilier, l’opposition. Une telle attitude étant précisément attentatoire à cette idée d’équilibre des pouvoirs et confirmant l’exactitude de la formule de Montesquieu. L’opinion publique constitue un nécessaire et légitime contre-pouvoir qui est consubstantiel  à toute démocratie digne de ce nom. Elle participe à la prise de conscience des dirigeants, des gouvernants qui, avant de prendre leurs décisions ou de légiférer, doivent parfaitement connaître les problèmes auxquels sont confrontés leurs concitoyens ainsi que leurs préoccupations et aspirations.

Gérard-David Desrameaux

Directeur de la Lettre ECP