17/04/2011
INSTITUER UN TROISIEME TOUR A L'ELECTION PRESIDENTIELLE
Editorial
La proposition peut paraître iconoclaste. Pour autant, elle me semble aujourd’hui absolument nécessaire si nous voulons, d’une part, que le pluralisme soit défendu dans notre société et, d’autre part, éviter que ne s’aggrave à l’avenir le déficit de représentativité dont souffre notre démocratie. Ce déficit étant assurément l’une des causes du relatif désintérêt des Français pour la politique les conduisant soit à se réfugier dans l’abstention, soit à se jeter dans les bras de forces extrémistes ou populistes.
Avant d’exposer la règle ou le principe des trois tours et les avantages attendus d’une telle réforme il nous faut d’abord partir d’un constat :
Notre démocratie est aujourd’hui victime du syndrome du 21 avril 2002, mais il faut se rappeler que bien avant déjà, l’appel au « vote utile » est un thème récurrent avant chaque premier tour de scrutin de l’élection présidentielle.
Ainsi, Lionel Jospin, dès 1995, en appelle au vote utile et, en 2002, on dénoncera au lendemain du 21 avril les candidatures de Mme Taubira et de M. Jean-Pierre Chevènement, celles-ci étant tenues pour responsables de l’absence d’un candidat de gauche au second tour de l’élection présidentielle de 2002.
Sur la foi de récents sondages, le thème du vote utile est de nouveau mis en avant par les responsables des principaux partis.
J’ai envie de dire au nom de quelle légitimité ? Pourquoi restreindre les choix de l’électeur et le priver de la possibilité de s’exprimer en toute liberté en votant pour le candidat ayant sa préférence, sans qu’il soit tenu pour responsable d’avoir fait battre un candidat ayant a priori plus de chances que le sien de l’emporter ?
Car, en appeler au vote utile avant le premier tour, c’est dans une certaine mesure favoriser les intentions de vote présumées et prédéterminer les résultats. C’est permettre à des instituts de sondages d’anticiper, voire de contribuer à orienter les électeurs dans un sens donné et de s’approprier un pouvoir exorbitant puisqu’ils influent sur les stratégies des partis politiques et sur les choix des citoyens. C’est faire abstraction, en outre, du fait que ces instituts se sont fréquemment trompés et que certaines de leurs prévisions formulées quelques mois avant une échéance électorale ont souvent été au soir de l’élection gravement démenties.
C’est en quelque sorte réduire, voire confisquer, le libre choix de l’électeur. C’est porter atteinte, dans une certaine mesure, non seulement à la liberté de vote mais aussi au pluralisme politique dans notre pays.
Instituer un troisième tour à l’élection présidentielle conduirait à modifier l’article 7 de la Constitution en remplaçant principalement l’alinéa premier actuel par un alinéa ainsi rédigé : « Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n’est pas obtenue au premier tour de scrutin, il est procédé, le quatorzième jour suivant, à un deuxième tour. Seuls peuvent s’y présenter les candidats ayant obtenu au moins cinq [ou dix] pour cent des suffrages exprimés au premier tour. Si la majorité absolue n’est toujours pas obtenue, il est procédé le quatorzième jour suivant à un troisième tour. Seuls peuvent s’y présenter les deux candidats qui, le cas échéant après retrait de candidats plus favorisés, se trouvent alors avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages au deuxième tour. »
Les avantages d’un tel mécanisme sont évidents :
Il garantit le pluralisme en permettant aux candidats ayant obtenu les signatures requises qui demeureraient fixées à cinq cents, le parrainage étant maintenu, de faire acte de candidature.
Il conduit à instaurer une primaire généralisée en offrant à l’ensemble du corps électoral un choix politique diversifié.
Il permet de libérer les candidats de l’emprise excessive des appareils de certains partis politiques. Les « grands partis », mais il s’agit là d’une notion désormais bien floue, ne pouvant plus faire pression sur les candidats en les qualifiant de « diviseurs ».
Le syndrome du 21 avril 2002 disparaît car le premier tour n’a plus pour effet comme aujourd’hui de ne sélectionner que les deux seuls candidats arrivés en tête, mais simplement d’éliminer les candidats ayant obtenu un « score » inférieur à cinq ou dix pour cent des suffrages exprimés, selon le seuil retenu.
En revanche, l’appel au vote utile, l’appel au rassemblement, retrouve tout son sens à l’issue du premier tour car le peuple s’est alors exprimé en toute liberté et à l’abri de toute pression.
Le deuxième tour présente dès lors l’avantage de permettre les rapprochements, ajustements et reports de voix nécessaires sur la base bien concrète de résultats électoraux et non plus sur la seule base de sondages hypothétiques qui n’ont pas à se substituer à l’électeur et à le conditionner. La nécessaire stratégie d’union entre courants de pensée proches ne se fait plus en amont de l’élection mais en aval du premier tour.
L’institution d’un troisième tour supprime l’épée de Damoclès qui est actuellement suspendue au-dessus des grands partis, à savoir la possibilité pour eux d’être absents du débat lors de la compétition finale.
Aujourd’hui, il faut faire respirer la démocratie et non pas l’étouffer en verrouillant le jeu politique.
Aussi, en ouvrant le débat et en permettant, le cas échéant, à des candidats au charisme incontestable et à de grands leaders d’opinion porteurs de véritables projets d’être présents lors de l’élection présidentielle, il est permis d’imaginer un regain d’intérêt pour la politique de la part de nos compatriotes.
N’est-ce pas le général de Gaulle qui déclarait que l’élection présidentielle, c’est la rencontre entre un homme et la Nation ?
Les critiques faites à l’encontre d’une telle proposition ne manqueront pas :
- Les Français ne se déplaceront pas trois fois de suite en l’espace d’un mois pour élire le chef de l’Etat. Ils se détourneront des urnes et se réfugieront dans l’abstentionnisme !
Le droit de vote est une conquête relativement récente. Nombreux sont les femmes et les hommes qui ont donné leur vie pour le conquérir. Il suffit de le rappeler et d’en appeler au sens civique des citoyens. Au demeurant, c’est une élection qui généralement passionne les Français, a fortiori s’ils ont le sentiment que leur vote ne leur est pas imposé et qu’ils disposent d’une plus grande latitude dans l’expression de leur choix.
- La campagne électorale sera trop longue et lassera les électeurs !
La campagne officielle ne s’étendra que sur six semaines au lieu de quatre aujourd’hui. C’est peu, au regard notamment de la campagne officieuse et de « primaires instituées par certains partis politiques », en particulier depuis l’instauration du quinquennat.
- Un tel système aura un coût !
En tout état de cause la démocratie a un prix et ce prix n’a rien de déshonorant ou d’exorbitant s’il s’agit d’améliorer le fonctionnement de notre vie démocratique.
- Instituer un troisième tour va compliquer les règles du jeu !
Rien n’est plus faux. Le système est simple, clair et transparent. La sélection des candidats se fait selon des règles précises introduites dans la Constitution.
- Un tel système implique une modification de la Constitution !
Sans manquer de respect à l’égard de celle-ci, elle a déjà fait l’objet de vingt-quatre modifications et bientôt de vingt-cinq. Une modification supplémentaire tendant à améliorer notre démocratie n’est nullement illégitime.
- Une telle réforme proposée moins d’un an avant l’échéance de 2012 est tardive et donc impossible pour la future élection !
A supposer que cela soit exact et qu’il soit effectivement trop tard, rien ne nous interdit d’y songer dès aujourd’hui pour éviter que cet argument ne nous soit de nouveau opposé à la veille de l’échéance suivante de 2017.
C’est une question de volonté politique. C’est un choix politique et les authentiques démocrates et républicains de notre pays seraient bien inspirés de faire leur ce projet car il est, me semble-t-il, à la base d’un inévitable et salvateur renouveau de notre vie politique.
Gérard-David Desrameaux
Directeur de la Lettre ECP
00:49 Publié dans éditoriaux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : élection présidentielle, troisième tour, pluralisme syndrome du 21 avril 2002, primaires, article 7 de la constitution, vote utile
05/12/2010
PRIMAIRES : UNE FAUSSE BONNE IDEE
Editorial
Oui, l’idée de primaires est une fausse bonne idée.
Elle est inadaptée à la situation politique française, à notre histoire, à nos mœurs et coutumes politiques.
La France n’est pas les Etats-Unis d’Amérique. Nos systèmes de partis sont différents et ne sont en rien comparables.
Le précédent italien qui remonte à quelques années n’est au demeurant pas concluant.
Un parti doit être libre de choisir son candidat à l’élection présidentielle. Ce choix n’a pas à être fait par des personnes extérieures au parti et ce d’autant que rien ne permet d’affirmer que le jour de l’élection elles voteront pour le candidat désigné à l’occasion des primaires.
Dans ces conditions rien ne permet d’affirmer également que le choix opéré de l’extérieur « n’aurait pas pour but de faire perdre le candidat officiel désigné par ce parti ».
Un parti doit demeurer maître du jeu. Seuls ses militants étant habilités à désigner celle ou celui qui sollicitera les suffrages du corps électoral .
C’est ce que n’avait pas manqué de rappeler François Mitterrand qui, en 1980, avait été désigné par les adhérents de son parti lors d’un congrès exceptionnel, alors que les médias et les sondages tentaient d’accréditer l’idée qu’un autre candidat, en l’occurrence Michel Rocard, serait plus à même de l’emporter que lui. On sait ce qu’il advint !
Le recours aux primaires est non seulement une fausse bonne idée. Il peut aussi engendrer un processus dangereux, voire une spirale infernale, d’autres parleront de « machine à perdre », dans la mesure où il aura permis pendant des mois d’amplifier, parfois artificiellement, des conflits et des divergences entre des « candidats aspirants » à la fonction présidentielle pour les mieux placés d’entre eux et des « candidats aspirants » à la fonction de ministre, voire de secrétaire d’Etat pour les moins bien placés.
Il est évident, en effet, que de tels affrontements auront un impact sur la campagne qui suivra et au lieu de rassembler et de fédérer ils diviseront et en définitive, affaibliront celui ou celle qui sortira vainqueur de ce tournoi singulier.
L’idée de primaires, encore une fois, n’est pas adaptée à notre pays. Elle répond à un effet de mode, voire de pseudo-modernisme. Elle a été inventée, en l’espèce, pour régler un défaut de leadership au sein du PS.
Le PS compte en effet aujourd’hui nombre de leaders qui se sentent en situation de postuler à la fonction suprême mais aucun ne réussit à s’imposer naturellement comme le chef incontesté de cette formation qui a vocation à gouverner et qui a effectivement gouverné dans le passé quand un homme au charisme incontestable et à l’autorité naturelle avait su incarner un projet auquel les Français adhéraient.
En l’absence d’une personnalité disposant d’un tel charisme il appartient au Parti Socialiste de désigner celle ou celui qui portera ses couleurs en 2012 dans le cadre de procédures internes.
A défaut, il prend le risque d’être dépossédé de toute légitimité et de toute crédibilité. Il ne faut pas hésiter à revenir sur une stratégie quand elle s’avère mauvaise, voire suicidaire.
Le PS serait bien inspiré d’en prendre conscience.
Gérard-David Desrameaux
Directeur de la Lettre ECP
17:38 Publié dans éditoriaux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : primaires, parti socialiste